Interview dans Paris Match

Publié le par Vincent Rey

Paris Match. A La Rochelle comme à Melle, dans les derniers jours d'août, vous êtes apparue radieuse. Comme si la conjoncture morose du P.s., les livres à charge contre vous et votre situation personnelle, officiellement séparée depuis l'été de François Hollande, n'entamaient en rien votre énergie. Toujours prête à "gravir la montagne" comme vous le disiez vous-même pendant la campagne présidentielle?

Ségolène Royal. Le plus difficile est passé. J'ai trouvé un nouvel équilibre en franchissant une étape. Une campagne présidentielle en première ligne, c'est une mutation profonde, un moment d'une exceptionnelle intensité. Exaltant, émouvant, violent aussi. Aujourd'hui, je me sens plus dense et plus forte de ce que j'ai vécu, appris, compris. Le contact avec les gens, qui n'ont pourtant rien oublié de leur déception, est toujours d'une exceptionnelle chaleur. Libérée du poids d'un calendrier contraignant je peux faire ce qui me plaît. Quant à ma vie privée, j'ai déjà eu l'occasion de faire une sobre mise au point, nécessaire et suffisante. Je n'ai pas à en dire plus.

En route pour une nouvelle candidature? Pour la prise en charge du P.s.?

Aucune échéance interne ne nous contraint à présent: ni congrès immédiat, ni choix d'une candidature pour 2012. Profitons-en pour ouvrir les portes et les fenêtres sur la France et le monde tels qu'ils sont. Mettons à profit ce temps pour réfléchir ensemble, élaborer des idées neuves, en finir avec certains comportements individuels hargneux. Je me suis engagée dans un travail de longue haleine, à l'écoute des Français et avec des chercheurs dont je lis les travaux et avec lesquels je discute. Les avis de Philippe Aghion, Daniel Cohen, Thomas Piketty, Dominique Meda, Patrick Weil, Olivier Duhamel et bien d'autres enrichissent ma réflexion. A l'intérieur du Parti socialiste, au-delà du cercle de mes proches, je trouve agréable de reparler avec ceux qui ont combattu ma candidature et que j'avais perdu de vue. Pierre Moscovici, Henri Weber et bien d'autres j'apprécie leur liberté de pensée. Il faut décloisonner la réflexion, réapprendre à se parler et à échanger sur le fond

Un Strauss-kahnien et un Fabiusien. Vous pratiquez "l'ouverture" en somme au sein du parti?!

Si vous voulez, à ceci près que je ne cherche à récupérer personne. Il y a différents pôles de réflexion au sein du Parti socialiste: les groupes parlementaires bien organisés, les commissions qui vont être mises en place par le parti pour la rénovation, les débats dans les fédérations. Cette diversité est une bonne chose. Les travaux sont mis en commun et versés au débat. La qualité des ateliers de l'université de La Rochelle montre à quel point les militants ont soif de discussions solides. Comme candidate ayant porté pendant la campagne un certain nombre d'idées qui furent jugées iconoclastes mais apparaissent aujourd'hui comme des clefs de la rénovation, je suis impliquée dans ce travail collectif.

Voulez-vous dire que vous avez eu raison trop tôt?

Les procès en hérésie qui m'ont été faits en pleine campagne nous ont coûté combien de millions de voix? A l'université d'été du Parti socialiste, j'ai entendu non sans stupéfaction parler d'ordre juste, d'autorité bien comprise, de la nation, des sécurités dues à tous, de la valeur travail, de l'aspiration légitime à la réussite individuelle, du refus de l'assistanat et du besoin d'agilité des entreprises: l'hérésie d'hier devient le moteur de la rénovation et la doctrine de demain! Je ne vais pas m'en plaindre. Ce sont ces thèmes-là, aussi, qui ont fait le succès de la droite. Ce ne sont pas des thèmes de droite, ce sont des préoccupations des Français auxquelles nous devons apporter nos réponses. Ce qui a fait le succès de la droite, c'est l'impression de cohérence idéologique et de discipline organisationnelle. Avec un temps long de préparation, des relais puissants et les moyens de l'Etat mobilisés pendant cinq ans. Ce qui n'empêche pas, aujourd'hui, Nicolas Sarkozy de virer de bord sur des sujets où il a combattu mes positions. Sur la Turquie, il a menti aux Français et fait aujourd'hui machine arrière car il était évident qu'il ne pourrait pas interrompre du jour au lendemain le processus d'adhésion. Quant à la réforme de l'indice des prix que j'avais proposée pour mieux défendre le pouvoir d'achat il vient de l'annoncer. Tout comme le revenu de solidarité active dont j'avais lancé l'idée avec Martin Hirsch car je pense que le travail doit payer. Et bien d'autres exemples pourraient être pris! J'ajoute que la France attend des réformes structurelles qui tardent à venir. Attention à l'illusion du mouvement dans une France en panne de croissance.

Vous ne vous reprochez rien donc. Vous avez pourtant déclaré dans votre discours de rentrée à Melle être prête à autant d'autocritique qu'il le faudrait...

J'assume sans problème ma part de responsabilité mais ce qui nous a le plus manqué, c'est le temps pour mener jusqu'à son terme la mutation de notre parti et de son projet politique. Les Français ont bien senti cet inachèvement et, entre nous, ces décalages, parfois ces contradictions, qui persistaient. C'est pourquoi il faut maintenant prendre ce temps qui nous a fait défaut pour aller au fond des choses, pour bâtir une alternative claire, en prise sur son époque, en phase avec les attentes des Français, portée par un grand parti moderne, ouvert, créatif et discipliné.

On vous reproche aussi l'improvisation permanente, l'impréparation, le goût du pouvoir personnel. Ne reconnaissez-vous rien de ces défauts pointés dans les livres qui vous éreintent?

Je laisse de côté les attaques personnelles qui font malheureusement plus de mal à l'image des socialistes qu'à moi. Je suis rodée si j'ose dire. Bien sûr qu'il y a eu parfois de l'improvisation dans la communication et de la désorganisation, encore une fois, faute de temps mais aussi une créativité, de l'imagination, des temps collectifs incroyables. Car il a fallu tout mener de front durant cette campagne: surmonter les divisions de la campagne interne, ouvrir des pistes nouvelles, remettre les Français au coeur de notre démarche, et aussi convaincre de la légitimité d'une candidature féminine... Quant au pouvoir personnel, c'est une légende. Jamais je ne serais arrivée là où je suis si j'avais travaillé en solo. Je sais écouter, consulter et décider, voilà tout. Et le moment de la décision d'un dirigeant est forcément solitaire sinon rien n'avance.

Et votre propre livre de diagnostic, annoncé pour octobre?

L'éditeur, Grasset, assure n'avoir rien vu venir. Quand il sera prêt, il le verra venir. Je l'écris à mon rythme, c'est ma liberté.

Cela ne vous gêne-t-il pas non plus de voir la nouvelle vie sentimentale de votre ex-compagnon François Hollande exposée en une de magazines? N'en êtes-vous pas affectée? Quel impact sur le parti et sur la fonction de Premier secrétaire?

Il a droit, comme chacun, à la protection de sa vie privée. J'ai tourné une page sans renier la part de bonheur qui fut la nôtre et sans ressentiments inutiles. Je n'ai pas à commenter les épisodes qui ne me concernent plus.

La rupture du couple que vous formiez avec le Premier secrétaire ne risque-t-elle pas de compliquer vos relations avec le parti qu'il dirige? Jusqu'à ce qu'un nouveau chef le remplace au prochain congrès en tout cas? En clair, vos relations peuvent-elles rester professionnellement normales?

On nous a assez reproché un mélange des genres pour qu'aujourd'hui le reproche inverse ne soit pas fait. Vie privée et vie publique sont disjointes clairement désormais. Mais les actions politiques devront être naturellement complémentaires et responsables. Pour l'instant, j'ai besoin de souffler. Celles et ceux à qui c'est arrivé savent bien qu'il faut laisser le temps faire son oeuvre. J'ai eu la chance d'être très entourée: dans ces moments-là, c'est précieux. C'est ce qui m'a permis de me rétablir assez vite et de cicatriser la blessure en allant de l'avant.

Avez-vous réellement dit, comme l'assure dans "Le Point" quelqu'un de votre entourage: "Si je lui demande, il revient"?

C'est tout le contraire: je lui souhaite très sincèrement d'être heureux. Et je garde au père de mes enfants la part de considération que ce lien avec eux implique et qu'ils doivent garder.

Et si vous étiez concurrents pour la candidature à la présidentielle, puisque François Hollande a laissé entendre qu'il serait "prêt en 2010"?

Ce n'est pas d'actualité. Je ne suis en compétition avec personne. Je suis la première femme de l'histoire à avoir été présente au second tour de l'élection présidentielle et à avoir partagé avec les Français un moment démocratique très intense suivi dans le monde entier. C'est aujourd'hui un travail collectif qu'il faut continuer à faire en restant à l'écoute des Français. Le leitmotiv au P.s. en ce moment est de mettre de côté les questions de personne pour travailler sur le fond. Il n'empêche que, chaque jour apporte son lot de favoris pour la relève du parti comme pour la présidentielle.

Quand il ne s'agit pas de vous ou de François Hollande, on cite Bertrand Delanoë, Manuel Valls, Vincent Peillon. Que pensez-vous de toutes ces supputations? Ne craignez-vous pas, vous-même, d'être instrumentalisée par certains de vos fidèles?

Je pense que tout cela est prématuré. Je sais combien les Français sont exaspérés par les querelles d'appareil politique. Je ne m'y abîmerais pas. Mais je pense qu'il faut que les talents de la nouvelle génération politique s'épanouissent. Je travaille avec elle. Je m'occupe de ma région mais je vais aussi répondre aux invitations internationales. Je choisis ce que je fais et qui je rencontre avec plaisir, je sors d'une période tellement contrainte pendant laquelle j'ai aperçu des gens passionnants entre deux portes. Aujourd'hui j'approfondis. Je me ressource.

Voulez-vous dire que, vous aussi, commencez une nouvelle vie? Vous à qui on a prêté pendant la campagne tant de soupirants!

Ah bon? Vous me l'apprenez. Certaines personnes racontent n'importe quoi pour se rendre intéressants. Je ne vois pas comment, avec la charge de travail et cette longue et pénible épreuve intime, j'en aurais eu le temps et le goût. Quant à aujourd'hui, c'est mon jardin secret. Les ruptures ouvrent de nouveaux possibles comme dit le poète! Cet été ma priorité fut de bien stabiliser les enfants qui, même s'ils sont grands, ont été, comme dans toutes les familles où des évènements de cette nature surviennent, très secoués, sans parler de la période de campagne. Maintenant, je peux penser un peu à moi.


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